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Mis à jour
le 18/08/17
 Optique des trous noirs
 

Un trou noir étant un objet effondré, dont la lumière ne peut s’échapper, l’optique des trous noirs, au sens strict, n’existe pas, puisqu’il ne produit aucune lumière. Mais si le trou noir est entouré de matière, celle-ci peut émettre de la lumière, et le trou noir joue alors le rôle passif de lentille gravitationnelle.

On connaît bien maintenant les lentilles gravitationnelles cosmologiques, dans lesquelles un amas de galaxies massif s’interpose entre nous et une galaxie très lointaine. Par la courbure de l’espace-temps autour de l’amas, les rayons lumineux provenant de la galaxie sont courbés, et focalisés vers nous. Il s’ensuit diverses apparences, comme la croix d’Einstein, divers anneaux ou arcs.

Mais ce que nous allons considérer ici est un peu différent par la proximité entre le trou noir et la matière émissive. Les trajets optiques sont beaucoup plus complexes, et les apparences bien plus étranges. Nous verrons que l’on peut arriver à voir simultanément le dessus et le dessous d’un même objet…

Photons dans un champ gravitationnel intense

Dans un champ gravitationnel intense, la déformation de l’espace-temps produit un étirement de l’onde électromagnétique. En effet, plus on approche du corps attractif, plus l’attraction est importante. Près d’un trou noir, cette augmentation est si rapide, que l’onde électromagnétique est étirée fortement. Puisque la longueur d’onde augmente, la lumière apparaît plus rouge. On peut dire aussi que les photons se décalent vers le rouge parce qu’ils perdent de l’énergie.

Visibilité d’un trou noir

La présence de matière rayonnante à proximité d’un trou noir s’explique par sa voracité : toute matière qui s’en approche est happée par son champ gravitationnel, et ne peut lui échapper (encore faut-il qu’elle s’en approche). On pense que des étoiles, ou des nuages de gaz, sont ainsi capturés par des trous noirs situés au centre des galaxies, où la densité d’étoiles est forte, et où les mouvements de celles-ci les amènent parfois à s’approcher du trou noir. N’ayant pas, dès l’origine, une vitesse directement dirigée vers le trou noir, l’étoile (ou le nuage) va s’en approcher tangentiellement, et donc se mettre à tourner autour, et tant qu’elle en est assez loin, on peut considérer son orbite comme képlérienne. Mais pour lutter contre la forte gravité du trou noir, elle doit aller très vite sur cette orbite. Et comme le trou noir, elle va déformer l’espace-temps ; cette déformation, produisant des ondes gravitationnelles, lui fait perdre de l’énergie. Alors, l’étoile va se rapprocher petit à petit du trou noir…

Elle commence à subir des effets de marée très importants, parce que la vitesse orbitale du côté tourné vers le trou noir est plus grande que celle du côté opposé. Ce phénomène est à l’origine des marées (voir le schéma) océaniques terrestres, mais près d’un trou noir, il est infiniment plus intense.

La matière est comprimée par cette puissante gravité, et donc s’échauffe. Elle va donc briller comme un corps noir (autour d’un trou noir, rien de plus naturel…). Ce disque de matière brillante en train de tomber dans le trou noir va donc le rendre indirectement visible. L’énergie gravitationnelle est donc convertie en énergie thermique et en rayonnement.

  Considérons une couronne de matière, provenant d’un nuage, en orbite autour d’un trou noir. Elle occupe un volume important (en gris sur le schéma) car elle est loin du centre. La matière est à une certaine température.
Quelques temps après, en perdant de l’énergie par rayonnement gravitationnel, cette couronne s’est rapprochée du trou noir.
Son rayon est plus petit, et par conséquent le volume occupé par
la même quantité de matière est beaucoup plus petit. Donc la
densité a augmenté, et pas conséquent la température. Tout corps
chaud rayonne, selon la loi de Planck. Cet anneau de matière
devient donc visible.
 

 

Ce principe est celui que l’on retient maintenant pour expliquer les quasars, découverts en 1963 : ils seraient des trous noir très massifs entourés d’un très important disque d’accrétion. Le calcul montre que le rendement de ce mécanisme est de 40 %, alors que le rendement des réactions nucléaires n’est que de 0,7 % (celui des réactions chimiques est encore bien moindre…).

Dans le bestiaire cosmique, on connait aussi des galaxies de Seyfert, et des galaxies à noyau actif. Ces objets ont des propriétés particulières, mais tous émettent beaucoup d’énergie. Ils ont été découverts grâce aux progrès de l’observation, à peu près à la même époque que les quasars. Il fallait les expliquer… ce ne fut pas chose facile.

Mais avec le temps, on a connu un nombre croissant de ces objets, et donc mieux cerné leurs propriétés. On s’est aperçu qu’il y avait en fait assez peu de différences entres les quasars les plus faibles, et les galaxies de Seyfert les plus actives ; et peu également entre les galaxies de Seyfert les plus faibles et les noyau de galaxies actives les plus violents…

Le modèle qui explique les quasars semble convenir pour expliquer également les deux autres types d’objets. Un peu comme il y a des étoiles naines et des géantes.

Les galaxies de Seyfert, et a fortiori les noyaux de galaxies actives seraient en fait des mini quasars, constitués d’un trou noir de faible masse, ou bien ayant à peu près épuisé ses ressources d’étoiles à consommer ! ceci est corroboré par le fait qu’on observe très peu de quasars dans notre environnement proche, donc à une époque récente. Très actifs dans un univers jeune, ils se sont essouflés, et ne se présentent plus maintenant que comme des objets beaucoup plus tranquilles.

On a imaginé un autre moyen de voir un trou noir : il suffit de l’éclairer !

Mais bien sûr pas n’importe comment : si on dirige notre lampe de poche directement vers lui, il avalera sans vergogne son pauvre faisceau lumineux. Par contre, si nous dirigeons le faisceau à côté du trou noir, à une distance bien étudiée, notre faisceau reviendra vers nous ! et donc, en le voyant, nous aurons encore une étection du trou noir.

Ici, on peut dire qu’il s’agit d’une optique géométrique particulière, que n’avait pas imaginée Descartes. La scène de théâtre est un espace courbe, et non l’espace euclidien auquel nos sens nous ont habitués.

Tout mouvement est astreint à suivre le plus court chemin dans cet espace. Dans l’espace euclidien plat, le plus court chemin d’un point à un autre est une ligne droite. A la surface d’une sphère, c’est un arc de grand cercle. Plus généralement, dans un espace courbe, c’est une ligne qui suit la forme de l’espace pour minimiser le trajet à suivre. Une planète suit ainsi une géodésique autour du soleil. De même, un rayon lumineux va suivre une géodésique et sera courbé par l’espace.

La courbure de l’espace est produite par la présence de masses. Pour des masses faibles, elle est insensible, et c’est pourquoi notre intuition nous indique un espace euclidien. En présence de faibles masses, l’espace est euclidien, le plus court chemin est une droite (au sens habituel du terme…) et un corps en mouvement ne subissant pas d’actions extérieures continuera en ligne droite d’un mouvement uniforme (principe d’inertie).

Mais si les masses deviennent importantes, ce qui est le cas pour les trous noirs, alors la courbure devient prépondérante.

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Courbure de l’espace-temps

Ce schéma est bien entendu faux, puisqu’il représente un espace courbe de dimension 2, visualisé dans notre espace à trois dimensions. Mais il permet de se faire une idée de ce que peut être la courbure d’un espace (pour faire un schéma correct, il faudrait que nous soyons plongés dans un espace à 4 dimensions…).

On observe deux étoiles, et on note l’angle qui les sépare (schéma de gauche).
Six mois plus tard (schéma de droite), le soleil est entre les étoiles et nous. On observe celles-ci sous un angle plus important.

 

On a donc l’impression que ces étoiles se sont éloignées, puisque leur écartement angulaire apparent est plus grand.

Bien sûr, pour que cette observation soit possible, il faut que le soleil soit là, sans y être… plus précisément sans masquer les étoiles par sa lumière. Ceci n’est donc possible qu’au cours d’une éclipse totale.

Cette expérience a été réalisée pour la première fois en 1919, par Eddington, au cours d’une expédition à l’Ile au Prince. Ce fut la première vérification expérimentale de la Relativité Générale.

 

Un rayon lumineux, dans un tel espace, va suivre la pente naturelle de l’espace ; et comme une bille lancée dans une soucoupe, va descendre dans la cavité, puis remonter de l’autre côté. Par contre, s’il passe trop près du centre, il sera happé par la courbure, et finira au fond du trou…

img src="oTN_img/oTN6.gif">  Les rayons lumineux sont déviés par le champ gravitationnel du trou noir, et s’incurvent autour de lui. Le rayon est d’autant plus dévie qu’il passe plus près de l’objet compact.
Un observateur situé en direction de l’une des flèches verrait donc une image de l’objet émetteur dans la direction d’arrivée de ses rayons, qui n’a rien à voir avec la direction d’origine.
Si on considère un rayon lumineux qui passe assez près de l’horizon, sa courbure est telle qu’il peut revenir en arrière ! Ainsi, l’observateur peut voir devant lui un objet… qui est derrière ! 
  Considérons un rayon passant encore plus près de l’horizon ; la courbure
de l’espace l’amène à faire un tour et demi avant d’atteindre
l’observateur. Celui-ci verra donc une seconde image de la source, un
peu plus près du trou noir.

Considérons maintenant le trou noir avec son disque d’accrétion, correspondant à l’idée que l’on se fait d’un quasar. Sa structure correspondrait donc au schéma ci-dessous, vu de la terre, et si l’objet central était peu massif :

  L’allure est assez semblable à celle de Saturne avec son anneau. Et si la boule centrale est l’horizon d’un trou noir, avec donc une gravité énorme, nous ne verrons pas du tout cela !

Dessinons l’objet vu de côté (d’une direction à 90°) ; et dessinons les rayons lumineux émis par le disque d’accrétion :


schéma explicatif ; les couleurs sont modifiées pour reconnaître les différentes parties

Les rayons partant du disque, et dirigés vers l’observateur, sont rougis par le décalage spectral, mais peu déviés. On verra donc le dessus (la partie qu’on verrait dessus si l’objet central était de faible masse) sans déformation. Pour rendre le schéma plus lisible, les rayons émis par les côtés du disque n’ont pas été figurés.

Les rayons lumineux émis par le dessus du disque, mais derrière, et qui se dirigeraient presque perpendiculairement à notre direction d’observation, seront déviés par la gravité et viendront vers nous. Par contre, les rayons issus de cette partie, et qui viendraient directement vers nous seront absorbés par le trou noir.

Enfin, les rayons issus du dessous du disque, et derrière le trou noir, seront eux aussi courbés et nous parviendront ! Ainsi, nous verrons arriver des rayons provenant de des deux côtés du disque d’accrétion. C’est une situation totalement paradoxale en optique habituelle, mais c’est ce qui produit un champ de gravitation L’aspect attendu est le suivant :

La partie jaune est celle dont les rayons nous parviennent après une courbure relativement modeste. Ils parviennent du dessus du disque, praesque directement pour ceux situés dans le bas du dessin, et après un forte relèvement pour ceux du haut, qui représentent l’arrière du disque.

la zone bleue nous montre le dessous de l’anneau ! Une partie qui normalement est cachée par le dessus… ainsi, les deux bosses, en jaune et en bleu, représentent le dessus et le dessous de la même partie de l’anneau, celle qui est le plus loin de nous !

Nous allons maintenant réfléchir sur la luminosité apparente du disque.

La partie la plus proche du trou noir est plus comprimée, et donc plus chaude. Elle rayonne donc une lumière de plus courte longueur d’onde, elle est plus bleue. Elle est aussi plus lumineuse, car elle dissipe davantage d’énergie.

Nous n’avons pas encore tenu compte de la rotation du disque autour du trou noir. La gravité étant très forte, la vitesse de rotation est extrêmement élevée ; il s’ensuit un très fort effet doppler :

Pour l’instant, nos moyens d’observation des trous noirs ne nous permettent pas de voir ces effets. En effet, la poussière et les gaz ne se limitent pas à la proximité du trou noir ; il y en a plus loin, qui absorbent la lumière émise et nous cachent le spectacle…

 

Ce chapitre est construit d’après le travail de Jean-Pierre Luminet

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